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Le choc des arguments : jeudi dernier, Le Figaro a publié une interview de Valérie Pécresse, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Bertrand Monthubert, le président de Sauvons la Recherche a voulu lui répondre. Voici leurs arguments : le texte de l'interview de la ministre suivi des commentaires de Bertrand Monthubert, de longueurs équivalentes.
Le Figaro : Le départ des chercheurs français à l'étranger, où ils sont notamment mieux payés, est l'un des gros problèmes de la recherche française. Quelles solutions comptez-vous mettre en oeuvre pour les faire revenir ?
Valérie PÉCRESSE. - À l'heure où la France traverse une conjoncture difficile, le gouvernement a choisi de donner la priorité à la recherche et à l'innovation. Pour 2009, nous avons décidé de renforcer l'attractivité de tous les métiers de l'enseignement supérieur et de la recherche.
D'abord, nous attirerons les talents vers ces métiers en reconnaissant le doctorat comme une première expérience professionnelle et en revalorisant les débuts de carrières des maîtres de conférence. Leur rémunération augmentera de 12 à 25 %. Pour éviter la fuite des cerveaux vers les laboratoires étrangers, nous distinguerons les 130 jeunes enseignants-chercheurs les plus prometteurs en leur offrant une chaire de cinq ans dotée d'une prime annuelle (de 6 000 à 15 000 €) et d'un capital pour leurs recherches (de 50 000 à 100 000 €). Mais nous devons aussi être offensifs. Je veux faire venir ou revenir de l'étranger d'excellents chercheurs. C'est pourquoi j'ai demandé à l'ANR (Agence nationale de recherche) de lancer en 2009 un programme «Retour post-doc» pour une quinzaine de lauréats. Ils bénéficieront chacun de financements allant jusqu'à 600 000 ou 700 000 € sur trois ans. Ils disposeront ainsi des moyens pour constituer une petite équipe et développer un projet de recherche. C'est une invitation au retour des chercheurs prometteurs partis de France.
Bertrand Monthubert : Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Un programme destiné à 15 personnes ne sert à rien, autant jouer au loto ! Cela veut dire qu'on va faire revenir un historien, ou un philosophe, un physicien, peut-être un ou deux biologistes... Quant aux 130 enseignants-chercheurs les plus prometteurs, là encore le nombre fait sourire : on recrute environ 2000 maîtres de conférences chaque année, par définition ils débutent donc il est extrêmement difficile de déterminer lesquels sont les plus « prometteurs » ! De plus, les informations dont nous disposons idiquent que cela ne se passera pas comme ça : des « chaires CNRS » seraient attribuées à certains laboratoires, avant même le recrutement.
Ces mesures sont donc cosmétiques. Et visent à masquer une réalité plus sombre : cette année on va supprimer 900 emplois dans la recherche et l'enseignement supérieur. Les chaires dont parle Valérie Pécresse seront en réalité des postes de maîtres de conférences, déjà existants, avec une prime financée par des emplois supprimés au CNRS. Il va donc y avoir des suppressions d'emplois de titulaires pour les docteurs cette année, pour la première fois depuis longtemps.
Vous vous rendez jeudi à l'ANR, l'Agence nationale de recherche, une des pièces maîtresses du nouveau système mis en place par la réforme. Trois ans après sa création, qu'a-t-elle apporté ?
L'ANR a pris toute sa place dans notre paysage de recherche : elle est aujourd'hui en vitesse de croisière. Elle a sélectionné 4 500 projets, portés par 12 000 équipes de recherche publiques et privées. Elle a permis de distinguer les équipes de recherche d'excellence, comme dans les autres grands pays d'innovation, et d'augmenter en moyenne les crédits de fonctionnement des laboratoires de 25 %. Pour certains d'entre eux, la hausse atteint même 50 %.
BM : Cela ne veut rien dire que de parler d'augmentation moyenne des crédits des labos dans ce cas : l'ANR finance des équipes à l'intérieur des labos, on a donc des équipes très bien financées (parfois même trop bien, elles ne savent pas comment utiliser l'argent !) à côté d'équipes sous-financées. Et ce n'est pas la qualité scientifique seule qui crée ces inégalités : quand on travaille sur une thématique à la mode, on a beaucoup plus de chance d'être financé. Pourtant, les modes passent vite, et quand quelque chose est à la mode, il est souvent à la veille d'être dépassé.
Par ailleurs, cette hausse du budget de l'ANR s'est faite au détriment des crédits de base des laboratoires. Le bilan net est donc nettement moins bon !
Quel rôle va jouer l'ANR dans le cadre de la définition de la stratégie nationale de recherche que vous allez mettre en place à partir de 2009 ?
Notre paysage de recherche se transforme. Nous voulons placer les universités, qui deviennent autonomes, au cœur de notre dispositif, et faire évoluer les organismes de recherche davantage vers une mission d'agence de moyens. L'ANR financera d'une part des priorités définies par le gouvernement, qui correspondent aux besoins de la société (nouvelles énergies, santé…). Elle aura aussi pour mission de favoriser les partenariats entre les laboratoires publics de recherche et les entreprises, qui sont aujourd'hui insuffisants. Enfin, elle financera l'excellence et la créativité pure, dans le cadre des programmes «blancs», non thématiques.
BM : le coeur du système, ce ne sont pas les universités, mais l'ANR. Et cette agence, comme le dit Valérie Pécresse, finance principalement la recherche sur les priorités gouvernementales. C'est une politique à courte vue : les avancées scientifiques sont imprévisibles, pour avancer sur le cancer, par exemple, on a besoin de progrès importants en biologie fondamentale. Lesquels viendront peut-être de progrès dans l'outillage de laboratoire, et donc d'autres disciplines comme la physique, la chimie. Par exemple, le laser est aujourd'hui devenu essentiel dans les laboratoires. Il a pourtant été créé par des physiciens pour des raisons de physique théorique. Ce n'est donc pas en se focalisant sur des créneaux étroits que la recherche peut avancer, elle a besoin d'apports variés et non-planifiables.
Comment s'articule l'ANR avec les organismes de recherche ?
L'ANR vient compléter l'action des organismes de recherche en attribuant des moyens nouveaux aux équipes les plus audacieuses, celles qui prennent le risque d'aller vers des champs inexplorés, celles qui s'engagent sur des thèmes prioritaires ou qui nouent des liens de partenariats avec le secteur privé. Les chercheurs de talent ont tout à gagner de l'ANR. Les financements sur projets organisés dans le cadre de l'ANR ont-ils déjà eu des effets positifs ?L'ANR a insufflé un nouvel état d'esprit dans la communauté scientifique française. Elle a prouvé que la recherche sur projet pouvait se faire dans toutes les disciplines y compris en sciences humaines et sociales. Elle a ouvert la voie à de nouveaux partenariats à la fois entre équipes de disciplines différentes mais également entre chercheurs français et étrangers : de nombreux appels à projets conjoints vont être lancés avec des agences européennes, ce sera le cas en 2009 pour Alzheimer. Désormais, nos chercheurs sont entrés dans une nouvelle culture. Les résultats sont là : la France se situe au deuxième rang dans les appels à projets du Conseil européen de la recherche.
BM: cela fait bien longtemps qu'on répond à des appels à projets, notamment au niveau européen, et si la France se distingue au niveau du Conseil européen de la recherche c'est en raison de la qualité de ses laboratoires... qui est pourtant sans cesse critiquée par le gouvernement ! Et si les chercheurs se prêtent au jeu, c'est qu'ils n'ont pas le choix : il leur faut bien trouver l'argent nécessaire pour travailler ! En revanche, pour demander d'autres orientations de la recherche, un moratoire sur les expertises de l'ANR a été lancé, et déjà signé par plus de 1 300 experts potentiels.
Revenons sur la question du risque : l'ANR finance des projets de 3 ans. C'est très insuffisant pour de la recherche à risque. Pour se lancer dans un projet audacieux, il faut avoir la sérénité de penser qu'on va pouvoir travailler pendant plusieurs années, sans peut-être trouver de résultat immédiatement. Or aujourd'hui on veut des résultats rapides : ce n'est pas si compliqué, il suffit de se lancer dans des projets dont on sait à peu près à l'avance sur quoi ils vont déboucher. Ce n'est pas comme ça que se font les grandes avancées.
L'ANR est-elle aussi en mesure de favoriser la créativité des chercheurs ?
C'est l'objet des programmes libres qu'on appelle «programmes blancs». Un chercheur reçoit un financement pour un projet de recherche qu'il a lui-même défini, si son excellence est reconnue par ses pairs. L'ANR doit promouvoir encore davantage la créativité de nos chercheurs. J'ai donc décidé cette année d'augmenter de 25 % la part de ces programmes blancs, en les faisant passer de 28 à 35 % de la programmation de l'ANR ; et je suis prête à aller au-delà.
BM: on peut voir dans cette augmentation une victoire pour les chercheurs qui critiquent depuis le début la part trop importante du financement sur les priorités thématiques. Mais la réponse n'est pas suffisante : les programmes blancs de l'ANR sont une forme de financement rigide, avec un appel d'offre par an. Si on donnait l'argent directement aux laboratoires, sur la base de leur évaluation, on pourrait être beaucoup plus réactifs. L'ANR est une forme de centralisation excessive.
Certains chercheurs reprochent à l'ANR d'être pilotée par le pouvoir politique. Que répondez-vous ?
Il est légitime que l'État finance prioritairement certains programmes de recherche pour répondre à des urgences sociales ou aux défis du XXIe siècle : le développement durable par exemple. La recherche est d'abord au service de la société. Cela dit, nous avons besoin d'élaborer avec l'ensemble de la communauté scientifique, les acteurs économiques et les représentants de la société civile, un document de référence pour les cinq ans à venir : la stratégie nationale de recherche et d'innovation qui nous permettra de mieux hiérarchiser les priorités, d'allouer efficacement nos crédits et de garantir aux chercheurs une visibilité à moyen terme.
BM : ce gouvernement, comme le précédent, a montré le peu de cas qu'il fait des propositions de la communauté scientifique. Par ailleurs, s'il appartient aux responsables politiques (incluant le parlement, systématiquement contourné par le gouvernement) de fixer les grandes orientations de la recherche, la manière dont cela se décline dans une politique scientifique est l'affaire de ceux qui font la science. Or le gouvernement veut s'en mêler : ce n'est pas son rôle.
Mais la phrase la plus choquante est peut-être la suivante : « La recherche est d'abord au service de la société ». Cela témoigne d'un angélisme confondant. Car la recherche produit des résultats scientifiques, qui ensuite peuvent être utilisés de façon diverses. Ainsi, la découverte de l'ADN a été fondamentale pour la biologie moderne. Et nous bénéficions chaque jour de produits de cette découverte. Mais il y a un an, le gouvernement a décidé d'utiliser des tests d'ADN dans le cadre de sa politique d'immigration, suscitant des réactions citoyennes très vives. Il est très important que les citoyens puissent participer au choix de ce qui peut être utilisé comme résultats de la recherche.