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31 janvier 2008 4 31 /01 /janvier /2008 13:32
Réformons la recherche
LE MONDE | 28.01.08 | 13h59  •  Mis à jour le 28.01.08 | 13h59

l est désormais admis que notre système de recherche doit être une priorité nationale, car, par ses effets sur la formation et sur l'innovation, il irrigue en définitive l'ensemble de la société. S'il est également acquis que des réformes profondes sont nécessaires pour assurer son excellence, il est essentiel de s'accorder sur des principes minimaux qui devront guider toute évolution des statuts. Dans la diversité de nos appartenances disciplinaires et de nos convictions politiques, en totale indépendance vis-à-vis du pouvoir ou des partis, nous pensons que quatre principes fondamentaux devront inspirer toute réforme.

 

Ces principes nous semblent intrinsèquement légitimes, mais aussi pratiquement motivés, car ils ont fait la preuve de leur efficacité chez nos concurrents les plus dynamiques - y compris là où l'Etat est le principal moteur de la recherche scientifique. Ils sont cependant fréquemment ignorés par les structures qui régissent la recherche française, alors même qu'ils sont compatibles avec un engagement massif de l'Etat, et sont la condition de son efficacité, donc de sa pérennité.

 

1. L'ÉLITISME SCIENTIFIQUE.

Les décisions de nature proprement scientifique doivent être prises par des chercheurs reconnus pour leur compétence, et non par le pouvoir politique ou syndical. En effet, le principal critère d'évaluation d'une recherche est sa capacité à faire avancer les frontières du savoir, ce dont ne peuvent être juges que les chercheurs qui sont eux-mêmes aux avant-postes de la découverte scientifique.

 

La meilleure recherche internationale est organisée selon ce principe explicitement élitiste, tant au niveau des publications que des financements ou des promotions. Les décisions scientifiques (embauche et promotion des chercheurs, financement de leurs projets) ne doivent en aucun cas être prises par des représentants directement nommés par le pouvoir politique ou élus sur des listes syndicales. Ceux-ci peuvent avoir un rôle à jouer dans les orientations générales de la politique scientifique, dans le contrôle des procédures, ou dans la défense des personnels, mais non dans les décisions scientifiques elles-mêmes.

La règle démocratique est cardinale dans le choix politique ; mais dans le choix scientifique, l'élitisme doit être pleinement assumé, car il est la condition pour que la recherche puisse remplir sa mission d'avancement du savoir.

 

2. LA COMPÉTITIVITÉ.

La recherche française doit être compétitive sur le double plan de la production des idées et de la rémunération des talents. En effet, le savoir est universel et l'on mesure son progrès en le comparant à ce qui se fait de mieux partout dans le monde. Aussi la valeur d'une recherche est-elle d'habitude mesurée par sa capacité à être publiée dans les revues internationales les plus sélectives, qui organisent en quelque sorte un concours permanent aux meilleures idées.

 

Mais ce "marché aux idées", dans lequel les découvertes ont un prix de prestige et non d'argent, est adossé à un "marché aux talents" qui, lui, est déterminé par des considérations bien matérielles. La délocalisation des talents est un risque majeur pour la recherche nationale. Pour être compétitive, celle-ci doit avoir toute la flexibilité requise pour donner aux meilleurs chercheurs les meilleures conditions, tant dans le financement de leur recherche que dans leurs conditions salariales. Renoncer à être compétitif sur le plan des rémunérations, c'est aussi renoncer à l'être, à terme, sur le plan des idées.

 

3. L'ÉVALUATION.

Les individus comme les équipes doivent avoir l'assurance que leur situation sera déterminée par une évaluation régulière, transparente, impartiale et indépendante. En effet, la contribution d'un chercheur comme d'un groupe de recherche doit être mesurée aux découvertes qu'il produit, évaluées à l'aune des critères internationaux propres à sa discipline ; sa rémunération pécuniaire et symbolique doit en dépendre également. C'est la condition pour que l'innovation soit toujours encouragée et que les chercheurs restent productifs. L'impératif d'évaluation ne conduit cependant nullement à la précarité de l'emploi : un individu qui fait moins de recherche peut contribuer autrement à l'avancement du savoir, par exemple en effectuant une part variable d'enseignement ou de travail administratif, sur laquelle il doit également être évalué. Mais dans tous les cas, les chercheurs doivent avoir la garantie que les fruits de leur travail seront justement récompensés.

 

 

4. L'INDÉPENDANCE.

La médiation entre le pouvoir politique et les décisions scientifiques doit être garantie par des instances scientifiquement légitimes et politiquement indépendantes. En effet, la validité de toute décision scientifique ne peut être établie que par une instance scientifique. L'âme de tout organisme de recherche doit donc être un comité scientifique ayant une légitimité internationale inattaquable et une indépendance totale vis-à-vis des pressions économiques ou politiques de court terme. L'indépendance ne doit cependant nullement être synonyme d'irresponsabilité : l'évaluation des retombées de la recherche et la surveillance de sa déontologie doivent être confiées à des instances spécifiques qui peuvent faire une large place à la société civile, mais doivent être indépendantes du pouvoir politique.

 

Ces quatre principes vont généralement de soi chez nos compétiteurs, mais sont loin d'être systématiquement appliqués dans les structures qui régissent notre recherche. En voici quelques exemples, non limitatifs :

- Les membres des commissions qui qualifient, choisissent ou promeuvent les chercheurs du CNRS et les enseignants-chercheurs des universités sont pour un tiers nommés par le pouvoir politique, et pour deux tiers élus par le plus grand nombre, parfois sur listes syndicales. Cette procédure n'est pas conforme à l'élitisme scientifique que nous prônons ; de telles décisions devraient principalement relever d'experts choisis pour leur compétence par une instance scientifique indépendante. Le système actuel est compatible avec l'élitisme scientifique lorsque, par vertu ou par habitude disciplinaire, les commissions sont mues par la recherche de la qualité ; mais il ne contribue aucunement à le garantir.

- Les chercheurs et les enseignants-chercheurs sont payés sur des grilles salariales qui ne tiennent aucun compte de la compétition internationale ni de la différence des talents. Un très bon chercheur qui travaille à l'étranger doit souvent diviser son salaire par 2, par 3 ou par 4 s'il veut accepter un emploi en France. De telles disparités nuisent à la compétitivité de notre recherche et contribuent à la fuite des cerveaux.

- La promotion des jeunes chercheurs et enseignants-chercheurs (à l'intérieur du grade de "chargé de recherche" ou de "maître de conférences") se fait presque uniquement à l'ancienneté, alors même qu'il s'agit de la période de leur vie scientifique où ils ont le plus besoin d'un puissant aiguillon pour lancer un programme de recherche fructueux. Cette absence d'évaluation n'est ni juste ni efficace.

- La direction du CNRS est nommée et peut être limogée à tout moment sur simple décision du ministre compétent. Le principe d'indépendance implique au contraire que de telles décisions relèvent d'un conseil de surveillance, et non du pouvoir politique. Quant à la nouvelle Agence nationale de la recherche, qui doit accroître la compétitivité des financements de projets, elle a un conseil d'administration nommé par le gouvernement, mais nul conseil scientifique. De plus, ses financements sont pour une large part (74 % en 2006) affectés à des thèmes qui sont choisis de façon assez directe par le ministère. Sur ces deux plans, le principe d'indépendance est malmené.

De mauvaises institutions sont parfois compatibles avec de bonnes pratiques : les fleurons de la recherche française ont pu créer des cercles vertueux qui promeuvent l'élitisme scientifique en dépit de procédures qui ne l'encouragent guère. Mais de bonnes institutions doivent avant tout contribuer à éliminer les mauvaises pratiques ; or celles-ci se perpétuent trop souvent dans des cercles vicieux que les structures actuelles ne sont pas parvenues à briser.

Les quatre principes que nous proposons ont largement fait la preuve de leur efficacité dans les pays concurrents qui ont une recherche publique du meilleur niveau. Nous souhaitons qu'ils soient maintenant pleinement appliqués en France - et qu'ils le soient tous les quatre, de façon conjointe : un système qui serait fondé sur la compétitivité et l'évaluation sans l'élitisme scientifique ou sans l'indépendance ne serait nullement adéquat.


 

David Bensimon, biophysique, CNRS-ENS ;

Henri Berestycki, mathématiques, EHESS, directeur UMR 8557 ;

David Bessis, mathématiques, CNRS-ENS ;

Olivier Blanchard, économie, MIT ;

Jérôme Bourgon, histoire de la Chine, ENS-LSH ;

Bernard Caillaud, Economie, ENPC-Ecole d'économie de Paris- Ecole polytechnique ;

Patrick Cavanagh, psychologie, université René-Descartes et Harvard ;

Anne Christophe, psychologie cognitive, CNRS- ENS ;

Jacques Dubucs, philosophie, IHPST- CNRS-ENS- université Paris-I, Fondation européenne de la science ;

Esther Duflo, PR, économie, MIT ;

Emmanuel Dupoux, psychologie cognitive, EHESS, directeur UMR 8554 ;

Paul Egré, philosophie, CNRS- ENS ;

Xavier Gabaix, finance, New York University ;

Jean-Marie Hombert, dynamique du langage, CNRS-université de Lyon, ancien directeur du département SHS, CNRS ;

Jean-Jacques Hublin, Institut Max-Planck, Leipzig, ancien directeur adjoint SHS, CNRS ;

Michel Imbert, neurosciences, université Paris-VI, EHESS ;

Pierre Jacob, philosophie, CNRS- ENS, directeur UMR 8129 ;

François Loeser, mathématiques, ENS ;

Sharon Peperkamp, linguistique, université Paris-VIII ;

Thomas Piketty, directeur d'études, économie, EHESS, Ecole d'économie de Paris ;

Jean-Pierre Ramis, mathématiques, université Toulouse-III, membre de l'Académie des sciences ;

Vincent Schachter, bio-informatique, CEA ;

Jean-Marc Schlenker, mathématiques, université Toulouse-III ;

Philippe Schlenker, linguistique, CNRS-ENS-New York University ;

Sylvia Serfaty, mathématiques, New York University - Paris-VI ;

Dominique Sportiche, linguistique, UCLA-ENS ;

Terence Strick, biophysique, Institut Jacques-Monod.

 


Article paru dans l'édition du 29.01.08


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